Le 24 février 2023, une activiste climatique monte sur la scène de la cérémonie des César. Elle s’appelle Nina. Elle fait partie du collectif « Dernière Rénovation » et a un message à faire passer : « We have 761 days left » (il nous reste 761 jours). L’antenne se coupe, la jeune femme est évacuée de force par la sécurité.
Pourquoi a-t-elle choisi d’intervenir ce soir-là, entre deux remises de prix ? Car au-delà du fait qu’il s’agit d’un événement à forte portée médiatique, l’industrie qu’il représente se révèle tout sauf écoresponsable ! Du tournage à la postproduction, rien, ou presque, n’est vert dans le 7e art.
Depuis quelques années cependant, des initiatives se créent, des stars prennent la parole, des collectifs voient le jour. À l’heure de la crise climatique, le cinéma serait-il enfin à l’aube de sa transition écologique ? A-t-il décidé de mettre son influence au service des bons messages ? Zoom sur l’impact environnemental du secteur de l’image, et sur ses ambitions nouvelles.
Le cinéma, nocif pour la planète ?
Gâchis planétaire : quels sont les chiffres ?
Disons-le franchement : le cinéma est loin d’être un exemple écologique… Et ce constat ne date pas d’hier.
En 2006, déjà, une étude menée par l’UCLA (université de Californie à Los Angeles) avait pointé du doigt l’impact hallucinant de l’audiovisuel sur la qualité de l’air californien. Cette industrie était ainsi le deuxième pollueur le plus important de la région, juste derrière le pétrole. Rien que ça ! Il faut dire que les sociétés de production n’y vont pas de main morte lorsqu’il s’agit d’injecter du réalisme à certains de leurs projets.
Vous souvenez-vous d’Apocalypse Now, sorti en 1979 ? Une forêt entière a été brûlée pour le tournage d’une de ses séquences. Plus récemment, Mad Max : Fury Road (2015) a nécessité le traçage de pistes au milieu du désert namibien à l’aide d’une charrue de labour.
Résultat : une partie des sols détruite, et disparition de la faune locale. Ces exemples ne sont pas isolés ; et la France est loin d’être irréprochable !
En 2021, The Shift Project, think tank qui lutte pour la transition énergétique, publie un rapport. Ce dernier démontre que l’impact carbone moyen d’un long métrage français gravite autour de 750 tonnes de CO2… C’est, en somme, l’équivalent du bilan pollution de 75 Français sur toute une année !
Les salles de cinéma ont également leur part de responsabilité, puisqu’elles produisent 1,07 million de tonnes de gaz à effet de serre par an (90 % de ces émissions dues aux déplacements des spectateurs).
Souffrance écologique : qui plaide coupable ?
Mais alors, qui demeure à la source d’une telle hérésie ? Qu’est-ce qui pollue autant sur un tournage de film ? Quatre grands fautifs sont à pointer du doigt, selon NOWU media :
Les décors
Ils sont en majeure partie responsables de l’impact carbone d’un film. La raison ? Ceux-ci sont fabriqués en début de tournage, et jetés à la fin. Ecoprod, une association qui tente de réduire le coût environnemental du cinéma, souligne que le secteur audiovisuel français pollue autant que 410 000 aller-retour Paris/New York en avion, ou 110 000 tours de la Terre en voiture par an. 20 % de ce bilan est dû à la construction de décors. Ajoutons à cela, 40 % des déchets non triés, lesquels terminent leur vie vers une destination inconnue.
Le transport
La mobilité est également sur le banc des accusés. Selon Alissa Aubenque, directrice des opérations à Ecoprod, sur 6 115 jours de tournages de films français en 2019, 1 288 ont eu lieu à l’étranger… Soit un nombre incalculable de déplacements inutiles. La France, par exemple, possède environ 6 000 km de plage continentale. Elle pourrait donc largement servir de décor à de nombreux projets qui, malgré tout, se délocalisent au profit de bords de mer plus lointains.
L’alimentation
L’impact du régime alimentaire d’une équipe complète est également notoire. Eh oui, il faut du monde pour créer un film, et il s’agirait de pouvoir tous les nourrir à leur faim ! Or, la viande, le poisson et l’importation de produits étrangers peuvent faire grimper le budget énergétique et financier. Un exemple de non-sens absolu ? Lors du tournage de Waterworld, en 1994, quelques modiques 4 000 $ ont été dépensés par semaine dans… des bouteilles d’Évian !
La consommation énergétique
Enfin, la consommation d’énergie d’un film peut aussi s’avérer extrêmement néfaste. Éclairage, matériel technique, groupes électrogènes gourmands… L’électricité n’est pas neutre écologiquement parlant, et peut ainsi peser sur la balance du bilan carbone d’une production.
C’est tout ? Pas tout à fait. D’autres facteurs, plus récents, ont également été ajoutés à la liste des coupables :
- les cosmétiques ;
- le stockage des données ;
- la « virtual production » (lorsque les écrans LED remplacent les classiques fonds verts des effets spéciaux) ;
- la postproduction.
Cependant, même si leur impact délétère est fort probable, celui-ci n’a pas encore été complètement démontré ; question de temps, sans aucun doute.
Crise climatique dans le cinéma : le secteur de l’image, à l’aube de sa transition énergétique
Le CNC et Ecoprod s’engagent
Bonne nouvelle, malgré tout : les mentalités évoluent, et le cinéma semble prendre petit à petit conscience de la nécessité absolue de verdir son industrie. En France, notamment, on tente de faire des efforts. Ecoprod a lancé en 2013 le Carbon’ Clap, calculateur de carbone, afin de sensibiliser les professionnels du secteur. L’intention demeure louable, mais le nombre de signataires est timide : sur 4 000 sociétés de production, seulement 160 ont adhéré à la cause. Loin de se décourager, le collectif a rédigé un guide pratique en 2018. Son but ? Aiguiller les entreprises audiovisuelles dans leur transition.
Plus récemment, en 2021, le CNC a pris les choses en main… Et il était temps ! L’organisme a lancé le plan Action ! pour accélérer cette transition verte. Dominique Boutonnat, qui en est le président, est très clair quant à la fonction principale de cette initiative :
« À travers ce plan, le CNC poursuit deux objectifs : accompagner la filière pour répondre aux défis climatiques et en faire un moteur de la transformation écologique et énergétique de notre pays. C’est une révolution fondamentale, il y aura un avant et un après. »
Autrement dit, la mission est multiple :
✅ Attirer l’attention des acteurs du secteur cinématographique sur l’impact environnemental de leurs activités.
✅ Les aider à avoir les bons gestes pour réduire leur empreinte, anticiper et s’adapter au changement.
✅Rendre attractive la dynamique écoresponsable des sociétés de production françaises, afin d’en faire un avantage auprès de la concurrence internationale.
Et concrètement, qu’est-ce que ça donne ? Eh bien, depuis le 31 mars dernier, le Centre national cinématographique (CNC) demande à ses bénéficiaires de lui remettre un double bilan carbone de l’exploitation de leur œuvre. Sans ce document, c’est simple : pas d’aides financières de la part de l’établissement public.
Les acteurs et les actrices ont leur mot à dire sur la crise climatique et le cinéma
Mais les organismes et les associations ne sont pas les seules à prendre la parole. Le 22 mai 2023, à l’ouverture du 76e Festival de Cannes, une tribune paraît dans Le Monde, portée par 400 signataires du milieu. Parmi eux et elles : Cyril Dion, Swann Arlaud, Natalie Portman ou encore Emmanuelle Bercot. Leur message ? La planète ne peut plus attendre, et pour l’occasion, ils lancent le mouvement Cut ! (Cinéma uni pour la transition), afin de sensibiliser le plus grand nombre à l’urgence de la situation. Ils sont catégoriques : l’industrie de l’audiovisuel doit dès maintenant s’engager au service de l’écologie.
Cette initiative n’a pas pour objectif de proposer des idées miracles, mais simplement de créer un gigantesque cerveau collectif pour revisiter notre façon de faire des films. Trois chantiers ont ainsi été mis en place :
1. S’interroger sur la forme
Comment produire, distribuer, exploiter un film tout en minimisant son empreinte écologique ? L’idée, à travers ces questionnements, est de faire naître de nouveaux outils comme des aides écoconditionnelles, des calculateurs, ou encore des chartes sectorielles.
2. Réviser le fond
Le collectif souhaite créer des formations et des résidences d’écriture pour attirer l’attention des professionnels du secteur sur les enjeux climatiques actuels. L’objectif, cette fois, est de faire naître des histoires qui mettent en valeur un modèle de société plus juste.
3. Réinterroger la diffusion
Ce troisième chantier souhaite prioriser la visibilité d’œuvres à fort impact sociétal, en les accompagnant dans leur campagne d’information, ou en organisant des débats, par exemple.
⏩ Vous pouvez vous aussi signer le manifeste et rejoindre un groupe de travail directement sur la plateforme Cut !
Hollywood s’en mêle
Quelques stars hollywoodiennes mettent leur notoriété à profit sur des questions écoresponsables, même si elles naviguent parfois sur une certaine ambivalence. Leonardo DiCaprio, qu’on ne présente plus, est un fervent défenseur de la cause environnementale. À 24 ans, il a créé sa propre fondation et mène depuis de nombreux combats de sensibilisation sur le sujet. Néanmoins, il a récemment été repéré en vacances sur un yacht, et critiqué sur ce non-sens écologique… Harrison Ford, lui, a tenu un discours vigoureux au journal de 20 h de Laurent Delahousse, le 21 mai 2023, en direct de la Croisette :
« Si on ne se bouge pas le cul, et qu’on ne le fait pas MAINTENANT, on va perdre cette planète ! »
Puis celui-ci enchaîne, un peu gêné tout de même, sur sa passion pour les avions et le pilotage ; il admet au passage posséder lui-même quelques aéronefs. Étonnant, pour un tel défenseur de la nature qui, soit dit en passant, s’est rendu sur la Croisette en jet privé.
Le cinéma a longtemps été une industrie à (très) forte répercussion environnementale. La bonne nouvelle, c’est qu’à l’heure où sonne l’alerte du changement climatique, certaines pratiques ne peuvent plus passer inaperçues. Les initiatives, qu’elles soient individuelles, collectives, ou institutionnelles, se multiplient. Impact petit ou grand pour la transition écologique, qu’importe ! Chaque geste compte, chaque idée est juste à prendre, pour que le 7e art soit demain un modèle exemplaire en matière d’énergie verte.
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Nina Senoyer pour Le Style est ❤️
Images provenant de Pixabay.