Secrets de l’alchimie : l’histoire d’une pratique mystérieuse


De nos jours, l’alchimie porte l’image d’une pratique occulte, entre la magie et la sorcellerie. Pourtant, à son apparition, les initiés qui l’opéraient étaient respectés et perçus comme de véritables scientifiques. Ces savants poursuivaient l’une des grandes quêtes de l’humanité : la recherche de l’immortalité et de la richesse, grâce à la pierre philosophale. Celle-ci, dans leur théorie, permettait l’élaboration de l’élixir de vie éternelle et la transmutation des métaux en or. Alors, utopie, illusions, ou réalité ? Plongeons ensemble au cœur de l’histoire de l’alchimie pour tenter d’éclaircir les grands mystères qui l’entourent encore aujourd’hui…

Les fondements de l’aventure alchimique

Avant tout, penchons-nous sur l’étymologie du mot, les objectifs de cette science, ainsi que les idéaux philosophiques de la discipline.

Une définition de l’alchimie 

Le mot « alchimie », tel qu’on le connaît, s’inspire de la langue arabe. L’étymologie de cette formule reste encore floue. L’explication la plus courante ? Le latin alchimia serait copié de l’arabe al-kīmiyā. Lui-même aurait été insufflé du grec ancien khēmeia, traduit par « fusion des métaux ».

Cette science a traversé les âges, pris des chemins divers selon les peuples et revêtu plusieurs noms. Pour les civilisations chinoises, indiennes et grecques, qui ont sans doute eu un impact sur l’alchimie latine, cette pratique était appelée « L’Art ». Malgré des visions bien différentes, un élément reste omniprésent : la transmutation, ou le changement d’un état pour un autre, qui se veut meilleur.

exilir de vie alchimie
Traité d’alchimie. Elixir de vie, Gallica, BNF.

Les grands principes de la discipline 

Quel était le but de l’alchimie ? Parfois reconnue comme l’ancêtre de la chimie, cette pratique a demandé de nombreux siècles d’expérimentations et de recherches. Si nous devions en donner une définition simple, nous ne pourrions passer à côté de ses principes célèbres.

Le principal ? La réalisation du Grand Œuvre, la quintessence absolue de cette science : la création de la pierre philosophale. Ce n’est qu’à partir de cette réalisation que les alchimistes pouvaient réussir à transmuter les métaux dits vils.

Ces derniers étaient :

🗝️ le cuivre ;

🗝️ le plomb ;

🗝️ l’aluminium ;

🗝️ le fer.

Le but ? Les convertir en or.

Mais le rêve des initiés ne s’arrêtait pas là. Leur second objectif majeur ? La recherche et la création d’un élixir, ce dernier menant à la vie éternelle. Aussi, l’élaboration de la panacée, ce remède qui pourrait guérir toutes les maladies universelles, demeurait également l’une des missions principales de cette science.

Derrière l’histoire de l’alchimie se cachaient les grandes quêtes de l’Humanité depuis la nuit des temps :

🧙‍ l’accès à la richesse ;

🧙‍ la longévité ;

🧙‍ l’immortalité.

Le symbolisme de l’alchimie

Afin de réserver le savoir de l’hermétisme1 aux initiés, le symbolisme alchimique était de rigueur. Pour l’illustrer ? Sept métaux manipulés par ses chercheurs, reliés à sept astres :

l’or apparenté au Soleil ;

⭐ l’argent à la Lune ;

⭐le mercure à la planète Mercure ;

⭐ le cuivre, à Vénus ;

⭐ le fer à Mars ;

⭐ l’étain à Jupiter ;

⭐ le plomb à Saturne.

À chacun correspondait un dessin, employé dans les textes écrits par les adeptes. Les processus expérimentaux et chimiques, eux, étaient liés aux différents signes astrologiques. Enfin, les quatre éléments naturels (air, feu, eau, terre) possédaient aussi leur symbole, ainsi que les autres métaux utiles, mais moins importants, et les unités de mesure.

Travaillant dans des laboratoires, les alchimistes empruntèrent de nombreuses techniques aux métallurgistes.

Leurs outils principaux ? L’alambic, qui servait à décomposer et recomposer les substances, le creuset, l’athanor, sorte de grand alambic à combustion lente, et les ustensiles de petite métallurgie. Selon ces savants, il fallait passer par la transmutation, autrement dit, une sublimation des matières, pour parvenir à l’absolu. Celui-ci n’était pas atteint d’une manière seulement scientifique, mais également philosophique.

laboratoire d'alchimiste
L’Alchimiste, peinture de David Teniers, vers 1643-1645. Museum Braunschweig (Herzog Anton Ulrich).

Un concept de pensée philosophique 

Les alchimistes étaient donc des scientifiques, au service d’expériences chimiques, physiques et métallurgiques, en quête de la perfection de toute chose. En y parvenant, ils pensaient faire évoluer l’esprit, purifier l’âme et transformer le mal en bien. La transmutation vers l’or s’apparentait alors à la métaphore de l’être humain, imparfait comme le métal, que l’on convertit en substance précieuse. D’ailleurs, ces praticiens devaient, pour réussir leurs travaux, atteindre leur propre transcendance.

Cette discipline symbolisait donc, pour ses initiés, une véritable quête spirituelle. Elle représentait l’explication du lien entre l’humanité et le cosmos. Cette philosophie avait pour objectif de permettre aux adeptes de rechercher ce qui était au cœur de la matière. Grâce à cet apprentissage, ils pouvaient comprendre les secrets de la nature, ce qui devait les mener à l’absolu.

La science hermétique, autre nom donné à l’alchimie, détenait une réputation de discipline mystique due, en partie, aux procédés d’occultisme mis en place. Afin de ne pas rendre cette pratique ésotérique accessible à un trop grand nombre, les alchimistes utilisaient un langage symbolique. Leur déchiffrement représentait d’ailleurs un rite de passage. C’est ainsi qu’en avançant dans les âges, cette discipline s’est bientôt apparentée à la magie, voire à la sorcellerie.

L’évolution chronologique de l’histoire de l’alchimie

Où est née l’alchimie ? Nous ne pouvons répondre avec précision à cette question. Au fil des âges et des civilisations, cette pratique a subi en effet de nombreuses évolutions.

Les premières traces de l’alchimie en Asie

Il semblerait que les prémices de cette approche remontent à la civilisation chinoise, avant d’atteindre l’Occident bien des années plus tard. L’Inde aurait également possédé son héritage alchimique, mais d’importance mineure pour cette culture.

En Chine, cette science, étroitement liée à la médecine, fut rapidement associée au taoïsme, religion mystique prônant l’équilibre entre l’être humain et la nature. Dès le 8e  siècle av. notre ère y apparaît la grande quête de l’immortalité. Au 4e siècle, des textes évoquent l’existence d’une pilule permettant d’attendre la vie éternelle. Trois siècles plus tard, l’or liquide est même cité comme solution miracle pour devenir immortel. Le livre chinois le plus réputé à ce sujet se nomme Tan chin yao chüeh. On raconte qu’il regroupait les inestimables secrets de la discipline : élaboration de philtres de longue vie, de remèdes médicinaux, ainsi que de pierres précieuses. On découvrait, presque pour la première fois, l’évocation du mercure, du soufre, des sels de vif-argent et d’arsenic dans la fabrication des recettes.

Les différents mélanges (du poison en vérité) entraînèrent la mort de nombreux empereurs qui avaient testé les élixirs d’immortalité. Ainsi prit fin la pratique chinoise. L’arrivée du bouddhisme dans le royaume marque une nouvelle manière d’atteindre la vie éternelle : « l’alchimie intérieure », composée de méditations, d’exercices de respiration et d’une alimentation saine.

L’arrivée de l’alchimie en Occident

La naissance de l’histoire de l’alchimie occidentale reste floue, elle aussi. On sait pourtant que la pratique telle qu’on la connaît depuis le Moyen-Âge en Europe latine fut largement influencée par les mondes gréco-romain et arabo-musulman.

Les pratiques durant l’empire grec

L’un des premiers alchimistes occidentaux provenait d’Égypte et se prénommait Zosimos de Panopolis (IIIe-Ive siècle ap J.-C.). Il instaura les techniques de distillation et de sublimation des matières dans la pratique de cette science. La transmutation des métaux permettait d’obtenir plusieurs couleurs qui servaient aux pigmentations. C’est sans doute grâce à ces expérimentations que Zosimos eut l’idée d’une essence provoquant la transformation instantanée d’une nature à une autre.

Cette substance fut tout d’abord nommée « la teinture », puis « la poudre ». Elle deviendra, plus tard, dans le monde latin, « l’élixir », et enfin, « la pierre philosophale », cette matière sans laquelle les métaux ne peuvent être convertis en or.

buste de Zosimos
Stèle à fronton représentant Zozimos (IIIe s. ap. J.-C.). Musée d’histoire de Marseille.

L’épisode de l’alchimie arabo-musulmane

L’alchimie, dans cette partie du monde, s’inspire d’Hermes Trismégiste, fondateur de cette discipline. Cette divinité gréco-égyptienne serait à l’origine du recueil de La Tablette d’Émeraude, texte composé de formules allégoriques (IIIe-IIe s. av. J.-C.). L’enseignement d’Hermes Trismégiste aurait été retrouvé dans son tombeau, sur un support fait en émeraude, d’où son nom. La version la plus ancienne du recueil date du XIe siècle, en langue arabe.

La ville d’Harran, en Syrie, constituait un haut lieu de l’hermétisme arabe. Il semblerait que les alchimistes y pratiquaient également la technique de distillation. On ne saurait donc dire si c’est depuis la Syrie qu’elle fut partagée jusqu’à Alexandrie et Zosimos, ou l’inverse.

L’alchimie arabo-musulmane fut réputée pour établir un lien avec la médecine et la quête de guérison, que ce soit des matières ou des êtres vivants. L’un des principaux praticiens et médecins ayant travaillé sur cet aspect ? Ar-Räzi ou Rhazes (865-925). De nombreux écrits de cette civilisation et de cette science furent traduits et arrivèrent dans les pays latins à partir du XIIe siècle.

Hermes Trismégite
Représentation d’Hermes Trismégite dans Tractatus posthumus Jani Jacobi Boissardi, Divinatione et magicis praestigiis, p. 140 (Gallica, BNf).

L’apogée de l’alchimie occidentale 

L’histoire de l’alchimie atteint son paroxysme lorsqu’elle touche les pays de l’Ouest européen. À l’approche du XIVe siècle, les manuscrits écrits et enrichis par les Grecs et les Arabes avaient traversé les âges. Ils étaient dès lors étudiés et expérimentés par de nouveaux chercheurs occidentaux.

Saviez-vous que ? Dans les années 1390, un homme prétendit avoir réussi le Grand Œuvre, en créant la pierre philosophale qui permettait la transmutation vers l’or. Cet alchimiste n’était autre que le célèbre Nicolas Flamel ! Sa légende prit un tournant récent grâce au premier volet de la saga Harry Potter.  

Dès le début du XIVe siècle, les initiés découvrirent les acides minéraux. Il fallut près de trois siècles d’expérimentations avant de pouvoir différencier les acides nitrique, chlorhydrique et sulfurique. Des recherches fondamentales pour le monde scientifique ! On commença alors à associer l’alchimie à une étude générale de la matière, ce qui lui fit adopter doucement le virage de la chimie. Ces deux sciences portaient donc encore le même nom, et n’étaient pas dissociées l’une de l’autre. Le savoir se diversifiait et de grands espoirs naissaient de ces expérimentations.

 Pourtant, ces découvertes restaient occultées par des recherches plus mystiques, telles que la transmutation des métaux et la fabrication d’élixirs. De nouveaux philtres furent d’ailleurs trouvés, préservant la santé humaine. C’est ainsi que de nombreux alchimistes se tournèrent bientôt vers la médecine, la pharmacie et les arts divinatoires. C’est le cas de  Nostradamus avec l’astrologie judiciaire.

Au XVIe siècle, on retrouve un hermétiste du nom de Paracelse, largement influencé par les écrits attribués à Hermès Trismégiste. Il fut à l’origine de la théorie de l’existence des « arcanes », ces liens invisibles qui relieraient les astres aux matières terrestres. Par le biais de cuissons, de distillations et d’autres dissolutions, il aurait essayé d’extraire ces arcanes des minéraux, dans le but de soigner. Ses études intéressèrent une large partie de la population, lassée des traitements réalisés à l’époque. Il remit ainsi en lumière l’utilisation du mercure, du soufre et du sel. Ces derniers associés à l’âme, à l’esprit et au corps.

Le début du XVIIe siècle marqua une rupture dans l’histoire de l’alchimie, entre les scientifiques rationnels et les hermétistes. Certains érudits refusèrent alors de se baser sur des textes occultes et la magie pour développer leur savoir sur le monde. D’autres furent plus cléments. C’est le cas d’Isaac Newton, alchimiste persévérant, à qui l’on doit la théorie de la gravitation. Il effectua de longues années de recherches. Jusqu’au XVIIIe siècle, l’attitude envers l’hermétisme resta donc ambivalente…

Portrait de Paracelse
Portrait de Paracelse par Paul Rubens, vers 1625. Musées royaux des Beaux-arts de Belgique.


Histoire de l’alchimie  : le socle de la chimie

La fracture s’établit définitivement au XVIIIe siècle, instituant une véritable révolution scientifique. Avec la création du tableau des affinités chimiques d’Étienne-François Geoffroy, l’alchimie dut se distinguer de la science rationnelle, portant dorénavant la dénomination de « chimie ». L’hermétisme fut dès lors considéré comme une pratique ancienne et dépassée. Les chimistes ne voulurent plus en entendre parler. Parmi ceux-ci, on notera la place importante d’Antoine Lavoisier et de son travail sur l’élaboration d’une nomenclature chimique, avec d’autres de ses confrères.

« La théorie des gaz de Lavoisier a ouvert la voie à une chimie entièrement nouvelle, qui conduira notamment à l’établissement d’une nomenclature chimique, servant à nommer les éléments chimiques. Publiée en 1787, celle-ci fut mise au point collectivement par Antoine Lavoisier, Claude Louis Berthollet, Guyton de Morveau et Antoine François de Fourcroy. La chimie moderne était née, avec une démarche scientifique à part entière dont l’alchimie était définitivement exclue. »Alain Queruel

La chimie, qui se voulait logique et méthodique, se différenciait largement des pensées philosophiques et occultes de l’alchimie. Le scepticisme, concernant la transmutation vers l’or et l’immortalité, grandit en même temps que la conception rationnelle. On rangea bientôt cette pratique dans le tiroir des rêveries des êtres humains.

Pourtant, nombre de spécialistes se penchèrent plus tard sur la place de l’hermétisme dans l’évolution scientifique et dans les avancées chimiques. En effet, on peut lui créditer la découverte de nombreuses substances : alcool, acides minéraux, apparition de nouveaux procédés et outils d’expérimentation. D’autres chercheurs diront que la chimie est plutôt née de la médecine, qui se développa durant les mêmes siècles que l’alchimie.

Transmutation des métaux en or et immortalité : aujourd’hui, les deux quêtes principales de l’hermétisme ne semblent aucunement accomplies. Pourtant, ces voies ont mené à des découvertes importantes pour la chimie et la médecine. Nous l’avons vu, les trois disciplines ont été étroitement liées. Alors, était-ce une ineptie ahurissante ou une avancée scientifique ? Nous ne le saurons sans doute jamais, tant de nombreux mystères et secrets subsistent autour de cette pratique. Notre époque actuelle se nourrit toujours de l’existence d’alchimistes. L’histoire de l’alchimie est-elle donc encore en train de s’écrire ?

Fanny Micoud, pour Le Style est…

Sources :
Le résumé détaillé du livre Histoire de l’alchimie Bernard Joly.
L’émission Les secrets de l’alchimie : de la science à l’ésotérisme avec Bernard Joly, sur Radio France Culture.
Une définition de l’alchimie selon l’encyclopédie Universalis.
L’histoire de l’alchimie selon l’encyclopédie Britannica.
Les alchimistes et l’alchimie par l’ICEM Pédagogie Freinet.

  1.  Hermétisme : doctrine ésotérique fondée sur des écrits de l’époque gréco-romaine attribués à l’inspiration du dieu Hermès Trismégiste (Larousse). ↩︎

Laisser un commentaire