Envie de visiter un lieu insolite, insoupçonné, en plein cœur de Paris ? Rendez-vous dans le 1er arrondissement, dans l’actuel quartier des Halles, sur la rive droite. Vous y découvrirez ce qui fut le plus vaste charnier de Paris au Moyen Âge ???? : le cimetière des Innocents ou des Saints-Innocents. Pour en savoir plus sur son histoire, les tragédies qui furent les siennes, suivez le guide !
Origine et histoire insolite du plus vaste cimetière de Paris au Moyen Âge
Le cimetière des Innocents a été construit sur l’emplacement d’une ancienne nécropole mérovingienne. Des fouilles archéologiques furent d’ailleurs réalisées lors de la construction du forum des Halles entre 1973 et 1974. On y mit au jour une trentaine de sarcophages de plâtre. Ces derniers attestent de l’existence d’une aire funéraire datée du Ve–VIIIe siècle.
Initialement, cet espace se trouvait extra-muros, le long de la voie romaine, sur le lieu-dit des Champeaux (petits champs). Cette ancienne zone marécageuse deviendra le quartier des Halles au XIIe siècle sous le règne de Louis VI le Gros.
Une église, nommée église des Saints-Innocents, érigée au cours du XIIe siècle, jouxtait le cimetière. Elle aurait été dédiée selon toute vraisemblance aux enfants de Judée, massacrés sur l’ordre du roi Hérode. Toutefois, les historiens ne sont pas unanimes quant à son origine. Plusieurs d’entre eux s’accordent à dire qu’elle a remplacé une chapelle dédiée à saint Michel érigée antérieurement, laquelle avait été agrandie en 1130.
En 1186, sur ordre du roi Philippe Auguste, un mur d’enceinte de 3 mètres de hauteur est également construit autour du cimetière. Les portes en demeurent fermées pendant la nuit afin d’éviter toutes intrusions.
En 1260, une fontaine appelée fontaine des Innocents, adossée à l’église, est construite. Elle sera remplacée par Henri II en 1548 afin de célébrer son sacre. Pierre Lescot sera chargé de la transformer et le sculpteur Jean Goujon de la décorer.
Jusqu’au XVIIIe siècle, on y inhume les défunts des 22 paroisses dépourvues de cimetières.
L’aire funéraire accueille également :
💀 les noyés de la Seine ;
💀les cadavres trouvés sur la voie publique ;
💀 les personnes décédées de maladies épidémiques, alors nombreuses, dont notamment les victimes de la peste noire de 1348.
Le sort des morts enterrés dans ce lieu dépendait de leur statut social. Les dépouilles les plus modestes étaient ensevelies dans des fosses communes. Ces dernières, gardées ouvertes jusqu’à saturation, pouvaient contenir jusqu’à 1 500 corps.
On prêtait à la terre des Innocents le pouvoir de « manger » ses cadavres en l’espace de neuf jours.
Les bourgeois quant à eux avaient droit à une sépulture individuelle. Certains inhumés dans un cercueil en bois. Les privilégiés, quant à eux, bénéficiaient d’une inhumation dans l’église.
L’inéluctable catastrophe du plus grand charnier de Paris dans l’actuel forum des Halles
Entre le XIVe et le XVe siècle, la saturation du cimetière et l’impossibilité de l’agrandir imposent la vidange des fosses afin d’accueillir de nouveaux morts. Des galeries à arcades accolées au mur d’enceinte se dressent alors tout autour. Leurs combles doivent servir de charniers aux ossements retirés des fosses. Ces derniers sont au nombre de quatre :
💀 charnier de la Vierge (ou Petit charnier) ;
💀 Grand charnier ;
💀 charnier des Écrivains ;
💀 charnier des Lingères.
Les célèbres arcades du cimetière des Saint-Innocents
Certaines de ces arcades servaient aux bourgeois qui finançaient leur embellissement. Deux d’entre elles demeurent célèbres.
La première est celle du libraire Nicolas Flamel, célèbre alchimiste parisien du Moyen Âge. Il y fit élever un tombeau pour sa femme Pernelle du vivant de celle-ci.
La seconde arcade située au niveau du charnier des Lingères correspond à celle du Duc de Berry, frère de Charles VI. Il fit réaliser une fresque représentant une danse macabre appelée aussi Danse des morts, entre 1423 et 1424. C’est le peintre Jean d’Orléans et le poète Jean de Gerson qui la réalisèrent, à la mémoire du duc Louis d’Orléans, assassiné en 1407, rue Vieille du Temple.
Elle symbolisait la mort qui frappe, indifférente à la classe sociale. Elle mettait en scène des personnages positionnés deux à deux : religieux et laïcs. Si cette fresque a aujourd’hui disparu, il est possible d’en admirer une copie dans l’église de la Ferté-Loupière dans l’Yonne.
La lente descente en enfer du plus grand cimetière de la capitale
Situées à proximité des Halles, les arcades du cimetière attiraient de nombreux vivants : écrivains publics, peintres ainsi que des marchands. Ces derniers y faisaient commerce en dépit des odeurs de putréfaction qui imprégnaient les lieux.
Ainsi, merciers, fruitiers, vendeurs en tout genre y proposaient leurs produits malgré les injonctions réitérées de plier leurs étalages au cours du XVIIe siècle. Seul le commerce d’images et de livres de dévotion y était officiellement autorisé à partir du XVIe siècle.
C’était également un lieu de prêche. Le frère Richard, un franciscain, y attira un auditoire de pas moins de 5 000 personnes.
Ce vaste charnier à Paris devint un lieu de dépravation où on se livrait, au commerce, à la prostitution, et où rôdaient indigents et vagabonds.
La profusion de dépouilles entraîna le soulèvement du sol du cimetière sur une hauteur de plus de 2 mètres. Les riverains étaient de plus en plus incommodés par les odeurs putrides qui en émanaient. Son déménagement ne fut pourtant pas envisagé.
Il faudra attendre l’effondrement de la cave d’un restaurant sous la poussée des os d’une fosse commune en1780 pour que soit enfin décidée sa fermeture sous le règne de Louis XVI. Cette décision signe la fin de ce qui fut pendant près de dix siècles la plus vaste aire funéraire de la capitale.
Où les catacombes de Paris abritent les restes des cadavres des Innocents
L’exhumation et le transfert des ossements des sépultures, des fosses communes et des charniers débutèrent le 7 avril 1786. Ils durèrent quinze mois. À la tombée de la nuit, un cortège de chars funéraires drapés de voiles noires les transportèrent et les déversèrent dans des puits de la carrière de la Tombe-Issoire.
C’est ainsi que naquit l’Ossuaire municipal de Paris, plus communément appelé « Catacombes » en référence aux Catacombes de Rome. D’autres débris humains provenant d’autres cimetières y furent par la suite transférés.
Ouverts au public depuis 1809, les Catacombes de Paris, plus grand ossuaire au monde, ne comptent pas moins de 6 millions d’ossements sur une superficie de 11 000 m² : un lieu incontournable de la capitale, chargé d’histoire qui attire chaque année près de 550 000 visiteurs.
Le cimetière des Innocents de nos jours
Après les quinze mois nécessaires au transfert des ossements, le lieu, désormais vide, devient à partir de 1810 le marché des Innocents.
La fontaine des Nymphes : un des derniers vestiges archéologiques du plus grand charnier de Paris
C’est en l’honneur de l’arrivée du roi Henri II et de Catherine de Médicis dans la capitale qu’est construite la fontaine des Innocents en 1549. Sculptée par Jean Goujon, elle est alors érigée près de l’église des Saints Innocents. Préservée après la démolition de celle-ci, elle est déplacée une première fois au centre de la nouvelle place du marché en 1787.
Elle comportait à l’origine trois façades décorées de naïades. On lui ajoute ensuite une quatrième façade dont la décoration est confiée au sculpteur Augustin Pajou.
En 1860, le marché des Innocents est détruit. Le monument est alors déplacé dans son lieu actuel : au centre de la place Joachim-du-Bellay.
Un piédestal est ajouté à sa base. Cette fontaine, datée de la Renaissance, est ainsi l’un des rares vestiges du cimetière encore présents de nos jours et l’une des plus anciennes fontaines de Paris. Très dégradée, la fontaine, reconnue comme monument historique depuis 1862, fait aujourd’hui l’objet d’une restauration. Elle devrait s’achever en juin 2024.
Les arcades du cimetière des Innocents
Les deux arcades qui soutenaient deux des charniers du cimetière peuvent être vues au nº8 de la rue de la Ferronnerie et au nº11 de la rue des Innocents.
Deux musées détiennent également quelques vestiges : le musée du Louvre (Allégorie de la mort dite la mort Saint Innocent) et le musée Carnavalet.
Henri IV et le cimetière des Saints Innocents
Vous vous demandez où est mort Henri IV et quel est son rapport avec le cimetière des Innocents ? Eh bien, le bon roi Henri a été assassiné dans la rue de la Ferronnerie, qui jouxte le cimetière.
Alors qu’il se rend au chevet de Sully, son conseiller, dans son carrosse, il est assassiné par Ravaillac. Ce fanatique catholique profite en effet d’un embouteillage au coeur des Halles de Paris pour le poignarder.
Étrange destin qui lie Henri IV et le cimetière des Innocents. Il sera en effet à l’initiative de la fontaine aux Nymphes et y trouvera la mort non loin.
Un lieu insolite dans Paris : les recluses de l’ancien cimetière des Innocents
Le cimetière des Innocents comptait plusieurs édifices parmi lesquels une tour exigüe accolée à l’église. Il s’agissait en fait d’un reclusoir : une cellule dans laquelle il était quasiment impossible de s’allonger.
Par dévotion, des femmes appelées « recluses » décidaient de s’y enfermer jusqu’à la fin de leur vie afin d’expier leurs péchés. Leur unique occupation ? Prier toute la journée. Les reclusoirs se dotaient de deux fenestrelles (petite ouverture). L’une donnait sur l’église pour permettre aux recluses de prendre part aux offices. L’autre sur le cimetière afin qu’elles puissent se sustenter grâce aux vivres déposés par des âmes charitables.
Qui est Alix la Burgotte ?
Une recluse, Alix la Burgotte ou Alice la Bourgeotte, a particulièrement marqué l’histoire du cimetière. Pour cause ! Elle serait demeurée recluse pendant quarante-six ans. Alix la Burgotte était religieuse à l’hôpital Sainte-Catherine, rue Saint-Denis, dans le quartier des Halles. Elle émit le souhait de devenir une recluse. Ce qui fut approuvé. Le 2 juillet 1418, Jean Nicols, un bourgeois parisien, lui cède une parcelle d’une superficie de 5 toises (environ 20 m²). Cette dernière située entre l’église et la fontaine. La religieuse y établit son reclusoir. Elle y demeura jusqu’à sa mort, le 29 juin 1466.
En son hommage, Louis XI lui érigera un magnifique tombeau supporté par quatre lions en cuivre. On pouvait y lire l’inscription suivante :
En ce lieu gist soeur Alix la Burgotte,
A son vivant réel use très dévotte.
Rendue à Dieu femme de bonne vie
En cet hostel voulut être asservie,
Où a régné humblement et longtemps
Et demeuré bien quarante et six ans,
En servant Dieu augmentée en renom
Le roi Loys, onsièsme de ce nom,
Considérant sa très grande parfecture,
A fait élever icy sa sépulture.
Elle trépassa céans en son séjour,
Le dimanche vingt-neuviesme jour,
Mois de juin mil quatre cent soixante et six,
Le doux Jésus la mette en paradis.
Amen !
Les autres recluses de l’aire funéraire des Innocents
Si Alix la Burgotte demeure la plus célèbre recluse du cimetière des Innocents, il existe toutefois d’autres recluses qui ont laissé une trace dans l’histoire de la nécropole parisienne :
👸 Jeanne la Verrière, enfermée volontairement le 11 octobre 1422 ;
👸 Renée de Vendômois rendu coupable d’adultère et de l’assassinat de son époux. Condamnée à finir ses jours recluse dans le cimetière des Innocents à partir de 1485 ;
👸 Jeanne Panoncelle, recluse de son plein gré dont on trouve trace entre 1496 et 1523. L’official de Paris ordonna aux marguilliers de l’église des Innocents de lui construire une logette dans le cimetière. Ces derniers s’y étant refusés furent frappés d’excommunication jusqu’à ce qu’ils acceptent de se soumettre à cette injonction.
Si d’aventure vous vous promenez dans le quartier des Halles, que vous passez par le square des Innocents, vos pieds fouleront un lieu insolite dans Paris : ce qui fut jadis le plus grand charnier de Paris.
🧚 Sonia Gharbi pour Le Style est ❣️