Comment l’État français préserve ses biens culturels d’intérêt majeur ? Trois mesures indispensables

Imaginez le tableau : une toile de maître dérobée, un chef-d’œuvre de l’enluminure qui disparaît, un manuscrit royal vendu à l’étranger. Interpol recense déjà plus de 52 000 œuvres d’art volées. Et en France, la protection du patrimoine s’organise. Pour éviter la dispersion des biens culturels les plus chers, une action de préservation sort du lot : la qualification de trésor national. Pourtant, la détermination de cette valeur exceptionnelle relève parfois du défi. Elle offre toutefois à l’administration publique deux prérogatives essentielles. D’une part, contrôler fermement la circulation de ces merveilles inestimables. D’autre part, les acheter pour maintenir leur présence sur le sol français. Le décor ainsi planté, la chasse aux trésors peut commencer !

1. Définir le trésor national dans le code du patrimoine

« Nos patrimoines culturel et naturel sont deux sources irremplaçables de vie et d’inspiration. »

Unesco, Convention de 1972.

L’objectif : soumettre certains biens patrimoniaux à un régime de protection renforcé, tant ils s’avèrent primordiaux pour l’État.

Différencier trésors nationaux et biens culturels

Les législateurs européen et français s’accordent sur la définition des biens culturels et les classent en catégories. Ce bien présente pour l’État un intérêt : archéologique, artistique, esthétique, historique, scientifique ou technique en raison de sa valeur et de son ancienneté.

Mais alors, qu’est-ce qu’un trésor national ?

Notion de trésor national en droit européen

À l’origine de ce concept ? Le droit international relatif à la libéralisation des échanges marchands. S’y ajoute le droit européen en l’article 36 du traité de Rome instituant la Communauté économique européenne. Ces législations visent textuellement les trésors nationaux et décident du sort à réserver aux biens culturels de tous types.

Grande lacune : aucune définition précise du trésor national n’y figure ! Pas plus qu’un éventuel trésor mondial ou européen.

Qu’en dit le droit contemporain ? Le règlement (CE) Numéro 116/2009 du 18 décembre 2008 concerne spécialement l’exportation de biens culturels. Il se contente simplement d’évoquer « des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique dans l’État membre concerné ».

En résumé :

  • Les trésors nationaux sont des biens culturels mobiliers ou immobiliers (le patrimoine naturel n’est pas concerné).
  • Un bien culturel est classé en trésor national s’il répond à certains critères (artistique, historique ou archéologique).
  • Chaque pays reste libre de définir exactement le concept de trésor national.

Vous l’aurez compris : il n’y a pas d’harmonisation des législations en Europe. Vous souhaitez disposer de vos biens culturels ? Il faut vous référer à la loi française pour connaître l’étendue de vos droits.

Biens culturels jugés trésors nationaux en droit français

Les parties législative et réglementaire du code du patrimoine, relatives à la protection des biens culturels, nous permettent d’y voir plus clair.

Article L111 du code du patrimoine

L’énumération des trésors nationaux est pléthorique ! Elle comprend en substance :

  • toutes les œuvres des collections des musées de France ;
  • des archives publiques et des archives historiques ;
  • des biens classés au titre des Monuments Historiques ;
  • d’autres biens faisant partie du Mobilier national.

Ajoutons également des biens culturels présentant un intérêt majeur pour le patrimoine national. Ceci au point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie ou de la connaissance de la langue française et des langues régionales.

Les 4 premières catégories de biens culturels sont clairement identifiées dans le code du patrimoine. Finalement, sculptures, manuscrits, photographies, biens mobilier et immobilier relèvent du même système juridique. Française ou étrangère, leur origine aussi importe peu. Par ailleurs, ils appartiennent à des propriétaires publics et privés.

En revanche, la dernière disposition peut vous faire douter. Qu’est-ce qu’un bien d’importance majeure ? Quel est le degré d’évaluation pour en attester ? Comment délimiter les vastes domaines historique, artistique, archéologique et linguistique ? Voilà qui est bien imprécis, voire subjectif !

Article L.111-4 alinéa 1er du code du patrimoine

Pour remédier à l’incertitude, vous devez parfois attendre que votre bien quitte la France. En effet, les biens culturels nécessitent l’obtention d’un certificat d’exportation. Or, seul un bien qualifié de trésor national s’en voit refuser la délivrance.

Voilà qui nous autorise une définition a contrario ! Tout bien culturel objet d’un refus de certificat d’exportation est un trésor national. Cette caractéristique n’est révélée qu’au moment de l’instruction de la demande de sortie du territoire.

tresor national douane
Passer la douane avec un trésor national (Lise-Marie Quin, Canva)

Classer les biens en commission consultative

Qui décide d’attribuer au bien la qualité de trésor national ? Le ministère de la Culture, après examen et proposition de la commission consultative des trésors nationaux. Celle-ci se compose d’un président issu de la juridiction administrative et de 11 experts. Le Service des musées de France assure son secrétariat.

Dommage que le détail des débats de la commission reste secret ! Précisons néanmoins qu’en vue du classement, la valeur économique du bien n’est pas déterminante. Seules ses qualités exceptionnelles attestant de sa haute valeur culturelle justifient son maintien en France.

Établir une liste détaillée du patrimoine protégé

Vous souhaitez connaître précisément les biens qualifiés de trésors nationaux ? Au risque de vous décevoir, l’annexe du règlement 116/2009 fournit seulement des catégories de biens jugés culturels. Le classement intervient selon le type de bien, son ancienneté et sa valeur. Aucune mention de trésor national ! En France, l’annexe 1 aux articles R.111-1 et suivants du code du patrimoine fait de même.

Alors concrètement, comment trouver la liste des trésors nationaux français ? Le site internet du ministère de la Culture en fournit une, mais difficile de trouver ses mises à jour ! En réalité, vous devez attendre la publication des refus de certificat d’exportation au Journal officiel de la République française. Elle comporte un extrait de l’arrêté ministériel visant les biens culturels concernés et l’avis de la commission consultative des trésors nationaux. 


Liste des trésors nationaux en France
Liste des trésors nationaux en France, état 2019 (ministère de la Culture)

2. Contrôler la circulation des biens de grande valeur culturelle

« Il n’y a rien de triste, rien même de poignant, comme une œuvre d’art exilée. »

Édouard Herriot, académicien et homme politique français.

Comment empêcher des œuvres si importantes de quitter les frontières de l’Hexagone ? Un système d’autorisation préalable s’impose.

Refuser le certificat d’exportation

Peu importe sa valeur et son ancienneté ! Si vous détenez un bien qualifié de trésor national, vous n’êtes pas en mesure de l’exporter définitivement.

Votre seule possibilité : demander une autorisation de sortie temporaire de France. Elle sous-entend le retour obligatoire du bien sur le territoire national. Le ministre de la Culture vérifie les garanties de ce retour et sa réapparition effective sur le sol français. Ceci à la date prévue dans l’autorisation.

Par ailleurs, la délivrance de ce permis n’est pas automatique. Ses motifs sont en effet précis et limités :

  • exposition et manifestation culturelle ;
  • expertise ;
  • restauration ;
  • dépôt dans une collection publique étrangère.

Vous envisagez un envoi hors Union européenne ? Vous devez également obtenir une licence d’exportation d’un bien culturel hors du territoire européen.

En cas de contrôle douanier, l’absence des justificatifs nécessaires présume le caractère illicite de la sortie du territoire. Gare aux sanctions ! Deux ans d’emprisonnement et 450 000 € d’amende pour les particuliers, et 2 250 000 € d’amende pour les sociétés.

Pour entraver tout déplacement suspect du bien culturel, les services de police, de gendarmerie et des douanes travaillent volontiers de concert.

Tresor national Jean-Baptiste Greuze
Détail de La lecture de la Bible de Jean-Philippe Greuse, trésor national. Galerie Louvre Lens (G. Lejeune).

Consulter l’Observatoire du marché de l’art et du mouvement des biens culturels

Le catalogue numérique des biens manquants des musées de France recense pas moins de 1977 objets disparus des collections. Le ministère de la Culture profite heureusement des moyens de surveillance accrue de cet observatoire. Par un suivi des échanges nationaux et internationaux, il contribue fortement à la lutte contre le trafic illicite d’œuvres d’art.

Sa particularité ? Il réunit :

Précisons que l’OCBC consiste en un véritable service d’enquête de la Direction centrale de la police judiciaire. Il joue à lui seul un rôle crucial contre le vol, le recel, le faux et l’escroquerie en matière de patrimoine culturel. Soulignons qu’il n’œuvre pas seulement pour la France. S’il suspecte la présence illicite d’un trésor national étranger sur le sol français, l’État concerné en sera averti.

Son commandant, le colonel Percie du Sert, nous rappelle que la sécurité du marché français s’impose. Il faut « que tout ce qui s’y vend soit dûment tracé, afin d’éviter à un acheteur de bonne foi d’être dépossédé de son bien quelques années plus tard. »

Demander la restitution d’un bien d’importance majeure

Voilà une problématique d’ampleur ! Comment la Nation française, privée illicitement de son patrimoine, peut en obtenir le retour dans son giron ? La directive européenne 2014/60/UE du 15 mai 2014 prévoit la restitution possible du bien situé dans un autre État membre. Condition essentielle : il doit s’agir d’un trésor national !

Contexte de l’action :

  • une sortie illégale du territoire national ;
  • ou un non-retour à l’expiration du délai d’autorisation de sortie temporaire.

L’intervention de la Direction générale des patrimoines et de l’architecture du ministère de la Culture est primordiale. L’article R.112-2 du code du patrimoine la désigne autorité centrale pour la France, pour mener ses actions auprès des autres pays, en vue de la restitution.

Mais quel sort réserver au détenteur du bien ? S’il a acquis le bien de manière honnête, l’État français lui verse une indemnité évaluée au cas par cas, au titre de sa dépossession. Dans le cas contraire, il s’expose à des poursuites judiciaires.

En toutes circonstances, une coopération accrue entre les pays reste essentielle. À ce titre, les conventions Unesco de 1970 et d’Unidroit de 1995 encouragent chaque État signataire à instaurer des mesures en la matière. Concrètement, la politique de restitution des biens culturels entre la France et l’Afrique donne un parfait exemple. C’est ainsi que 26 œuvres du trésor royal d’Abomey ont été restituées à la République du Bénin en 2021. Elles avaient fait l’objet d’un pillage par des troupes coloniales françaises en 1892.

3. Procéder à l’achat d’un bien culturel privé

« Le prix d’un tableau n’est pas le prix de l’art, mais le prix de la passion. »

Marcel Proust, À la recherche du temps perdu.


Vous l’avez obtenu licitement et il vous appartient. Attention, votre trésor peut attirer la convoitise de l’Administration. Et quelle aubaine pour elle ! Une fois le certificat d’exportation refusé, la loi lui donne 30 mois pour émettre une offre d’achat auprès du propriétaire du bien. Pendant ce délai, interdiction de sortir l’œuvre du pays !

Acquérir un trésor national

L’État français achète pour le compte de ses institutions. En toutes hypothèses, le propriétaire est en droit de refuser de vendre son bien précieux. Conséquences : le refus de certificat d’exportation est indéfiniment renouvelé et la vente du bien à l’étranger est impossible.

Mais en cas d’acceptation, difficile de ne pas évoquer la délicate question du budget d’acquisition.

L’État considère que la valeur culturelle du bien est inestimable. Bien sûr, c’est un trésor ! Sa valeur marchande est souvent, elle aussi, très élevée. En tout état de cause, le prix proposé par l’administration publique doit correspondre à celui du marché international. Place aux négociations ! En cas de désaccord, les intéressés désignent 2 experts chargés de fixer l’évaluation.

Dans ce cas, que faire en l’absence de fonds publics suffisants ? Les institutions publiques recourent au soutien de généreux donateurs. En contrepartie et sous conditions, les sociétés mécènes bénéficient d’une réduction d’impôt de 90 % des versements effectués.

💲Vous le saviez ? Les dons ont permis au musée des Beaux-arts de Lyon de s’offrir La Fuite en Égypte, tableau de Nicolas Poussin vendu à 17 millions d’euros.

Renoncer à l’acquisition d’un bien de valeur

L’ État abandonne son projet d’achat dans 2 hypothèses :

  • aucune solution d’acquisition n’est trouvée ;
  • l’offre d’achat intervient hors des délais légaux.

Si la France renonce à la propriété du bien culturel, elle doit délivrer le certificat d’exportation. Quel drame pour le patrimoine français et quelle chance pour le propriétaire ! Le bien peut non seulement quitter le sol français, mais il perd aussi sa qualité de trésor national. Adieu le régime de protection renforcée !

Voilà qui nous renvoie à l’épineuse problématique de la dépendance entre qualification de trésor national et refus de certificat d’exportation.

En définitive, le trésor national est bien gardé ! Sa composition évolue néanmoins au gré des volontés étatiques et des échanges internationaux. L’objectif poursuivi par l’Europe et la France, quant à lui, reste inchangé.

Un bien d’une valeur culturelle exceptionnelle pour l’État doit rester attaché au territoire national.

Alors, un conseil : avant d’acquérir le pistolet de Napoléon, vérifiez bien sa provenance ! Il serait dommage de devoir le restituer.

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Lise-Marie QUIN pour le Style est

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